Des sans-terre aux sans droits ? Le nouveau président brésilien veut criminaliser les actions du Mouvement des Sans Terre

Sem-terra ocupam Fazenda Esmeralda, de um «amigo» de Temer (interior de São Paulo, 25 de Julho)

Source : Sem-terra ocupam Fazenda Esmeralda, de um «amigo» de Temer (interior de São Paulo, 25 de Julho) Créditos/ Mídia Ninja abrilabril

Le Mouvement des Sans-Terre s’inscrit dans la droite ligne de l’analyse de Josué de Castro dans son ouvrage princeps « Géographie de la faim » où il décrit la faim comme résultant de « l’incapacité de l’Etat brésilien à équilibrer les intérêts privés et les intérêts collectifs ». et de « l’indépendance des propriétaires terriens, souverains absolus sur leurs domaines d’accés interdit » (p.273). La faim est la fille putative de la misère des paysans sans terre d’un système agricole brésilien « colonial » dés ses origines et dont l’extraversion va créer une insuffisance alimentaire sur ses propres terres pour nourrir les populations d’ailleurs, dans le marchés toujours plus vastes de l’économie mondialisée. Les mouvements d’émancipation sociale et politique des années 70 en Amérique latine, portés conjointement par le marxisme et la théologie de la libération ont poussé les paysans sans terre à se regrouper. Ils pouvaient plus facilement faire valoir les droits inaliénables de l’homme à bénéficier dignement des fruits de son travail et d’une alimentation suffisante, en ce pays de cocagne qu’est (potentiellement) le Brésil.

« Le Mouvement des sans-terre (MST) est une organisation paysanne née au Brésil au début des années 1980, et il est aujourd’hui  l’un des plus importants mouvements sociaux d’Amérique Latine. Il prend racine dans les occupations de terres qui se développent de manière isolée dans l’état du Rio Grande do Sul à la fin des années 1970 (1979-1983).Ces luttes, menées par des ligues paysannes, s’organisent peu à peu sous l’impulsion de syndicats ruraux, de l’Eglise, et plus particulièrement de la Commission pastorale de la terre. La dimension nationale du mouvement et sa résistance aux formes multiples de répression en ont fait un interlocuteur incontournable. Le MST lutte pour une redistribution équitable de la terre par le biais d’une réforme agraire, afin de permettre aux paysans d’accéder à cette ressource qui, au Brésil, est particulièrement concentrée dans les mains de l’élite. La vision que le MST a de la réforme agraire ne se réduit pas à la seule distribution de terres, mais inclut l’ensemble des conditions nécessaires au maintien et au développement d’une agriculture paysanne familiale capable de répondre aux besoins du pays à la fois en termes alimentaires, d’emploi et de développement rural durable« . http://www.fdh.org/-MST-Mouvement-des-sans-terre-.htm

Le Mouvement des Sans Terre s’inscrit dans la continuation d’une lutte pour les plus démunis pour faire appliquer la réforme agraire, selon les modalités définies par l’INCRA (Institut national de la colonisation et de la réforme agraire, crée en 1970, NDLR).  Cet intitut autorise la culture de terres latifundiaires non exploitées, par des personnes extérieures à la propriété rurale aprés qu’il ait expropriée certaines terres et les ait légalement redistribuées. Mais même les gouvernements Lula et Roussef n’ont pu généraliser l’application de cette réforme agraire, érigée en principe dés 1970…pendant le régime militaire. Les propriétaires terriens et leurs représentants le « banc des ruralistes » (élus propriétaires terriens à la chambre des députés : NDLR) sont une force politique ancienne dont la puissance n’a eu de cesse de se renforcer durant l’émergence brésilienne. Le PIB brésilien repose en partie sur sa puissance agro-alimentaire qui ne peut s’entendre qu’à l’aune de son gigantisme territorial. Pourtant, ses immenses capacités productives coexistent avec une incapacité endémique à satisfaire les besoins alimentaires de sa population.

« L’ONU et la FAO [l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture], par exemple, recommandent sa mise en œuvre (de la réforme agraire NDLR) afin d’éradiquer la pauvreté et de rendre effectif des droits humains comme le droit à une alimentation adéquate et à l’éducation. Pour ces organismes, la concentration foncière et l’absence de politiques publiques de production en faveur de l’agriculture familiale ont pour corollaire la pauvreté et les inégalités sociales. Selon le recensement sur l’agriculture et l’élevage de 2006 [réalisé par l’INSEE brésilien], le Brésil occupe le deuxième rang mondial en termes de concentration des terres, derrière le Paraguay. L’indice de concentration foncière de 2006 (0.872) est plus élevé que celui des deux derniers recensés : 0.857 en 1985 et 0.856 en 1995. En 1985, il existait 67 assentamentos, avec 117 000 familles concernées, totalisant 9.8 millions d’hectares rattachés à la réforme agraire. Aujourd’hui, les assentamentos sont au nombre de 8.792, avec 921 000 familles, pour un total de 85 millions d’hectares. De fait, même avec l’expansion des assentamentos, la concentration foncière a augmenté [73.7 % des petits paysans disposent de 12 % de terres, tandis que 0.8 % des grands propriétaires en possèdent à eux seuls 31,7 %) » http://www.courrierinternational.com/article/2013/04/09/il-est-temps-de-realiser-enfin-la-reforme-agraire

Cet article de 2013, sous l’ère Lula, rappelait la difficulté, même sous un gouvernement de gauche, de mettre en application une réforme qui remettrait en cause les liens organiques et anthropologiques qu’entretient le Brésil avec ses élites rurales dont les origines s’inscrivent dans le marbre des capitaineries héréditaires concédées par les rois du Portugal à leurs barons des colonies américaines.  La donne a changé en octobre 2018 avec l’élection d’un nouveau brésilien officielement lié au lobby des propriétaires terriens.

Désormais, celui-ci veut faire qualifier comme terroristes les actions d’occupation  des latifundios en jachère par les membres des Sans Terre et des Sans Toit (MST et MSTT). Pour, selon lui, garantir le droit sacré à la propriété, il veut retirer de la loi antiterroriste (loi nº 13 260/2016), la mention qui empêche la qualification d’actes terroristes à toute action liée à des mouvements sociaux à caractère revendicatif.

http://www.abrilabril.pt/internacional/bolsonaro-quer-tipificar-sem-terra-e-sem-tecto-como-terroristas

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