Les inégalités sociales au Brésil : l’exemple de l’offre hospitalière de lits en soins intensifs

Dernier article de notre série sur l’offre de soins intensifs au Brésil, nous allons nous intéresser à l’offre de soins par Etat et par capitale. Bien qu’insuffisante pour ce pays grand comme un continent, l’analyse à l’échelle de l’Etat est pertinente puisque le Brésil est une république fédérative, où l’exécutif des Etats est doté de compétences. Les gouverneurs peuvent prendre des décisions concernant la santé publique. Nombre d’entre eux ont décidé d’appliquer la politique de confinement prôné par l’OMS alors même que le président d’extrême-droite Jaïr Bolsonaro dénonce cette pratique économiquement suicidaire selon lui. En général, les Etats disposent d’un ou plusieurs hôpitaux universitaires à même de prendre en charge certaines pathologies, comme les affections aigües par coronavirus. La figure 1 montre qu’au Brésil l’offre de soins intensifs pour 10 000 habitants est à l’image des inégalités sociales, démographiques et géographique du pays. Le ratio de l’Etat le mieux desservi est 6 fois supérieur à celui le moins bien desservi (respectivement 3.64 dans l’Etat de Rio contre 0.65 dans l’Etat amazonien d’Amapa).

Fig.1 Population et densité de lits UTI par Etat brésilien

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Source. CFM                                                                       H. Foissotte, 2020

On observe un dichotomie assez nette entre le Sud (Sud et Sudeste) et le reste du pays. 4 Etats du Nord et du Nordeste (Amapa, Acre, Roraima, Maranhao) une desserte inférieure au seuil critique de 1 lit d’UTI pour 10 000 habitants (respectivement 0.65, 0.91, 0.92, 0.95 lits UTI pour 10 000 habitants). La notion de « front pionnier » montre ici son acception sociale où les criantes inégalités sont autant de coups de canif dans le contrat social brésilien. Les taux de criminalité, de pauvreté, de travailleurs esclaves y sont les plus élevés du pays (voir les articles de Tiradentes-geographie sur les homicides et les travailleurs-esclaves). A l’opposé, presque tous les Etats du Sud et du Sudeste ont une desserte deux fois supérieure au ration minimum. Les deux mégapoles, Rio et Sao Paulo, ont les meilleurs ratios du pays, avec respectivement 3.62 et 2.54 lits UTI pour 1 000 habitants. On peut interpréter ceci par la présence de nombreux CHU et grands hôpitaux publics et privés qui disposent systématiquement de services de réanimation. Si ces remarques confirment les différences de développement illustrées par les IDH des Etats, elles ne peuvent s’interpréter totalement sans analyse de la dispersion des populations et de l’offre UTI. Les données du CFM, à ce jour, ne permettent pas de travailler à l’échelle la plus fine, celle des communes.

Une approche complémentaire pour mettre en évidence les inégalités de desserte consiste à analyser les inégalités realtives par Etat en fonction, non pas de la desserte, mais de la répartition de l’offre pondérée par la taille des populations. Ainsi, dans le cas d’une équidistribution parfaite, tous le Etats auraient une part de lits UTI rapportée au total égale à leur part de population rapportée au total de la population. Le ratio serait donc égal à 1. On appellera ce calcul quotient de spécialisation (fig.2).

Fig.2 Quotient de spécialisation par Etats

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Source : CFM, 2016                                                                     H. Foissotte, 2020

Tous les Etats du Sud et du Sudeste sont surreprésentés. A Rio, la part du nombre de lits est prés de deux fois supérieur à son poids démographique, Sao Paulo, il est de 1.3. A l’opposé, il est de 0.3 dans l’Amapa, 0.46 dans l’Acre et à Bahia. L’indigence de l’offre de soins est à l’image du retard économique et social de ces régions par rapport aux « locomotives  » de l’émergence, ancrées dans l’économie mondialisée. Les Etats apparaissent comme les grands oubliés du mirage du développement économique brésilien. Bien sûr, pour reprendre les propos d’Hervé Théry dans ses ouvrages de géographie générale sur le Brésil, les divisions sont plus nombreuses et subtiles qu’une apparente dichotomie. Mais c’est bien cette opposition qui sépare les pays émergents des pays émergés.

Au Brésil comme au Maroc, la proximité de l’offre de soin n’est en rien synonyme d’accès effectif aux soins. Un partie des établissements hospitaliers sont des établissements privés où la patientèle ne peut se rendre que si elle a souscrit une dispendieuse assurance santé (plan de santé ou « plano de saude »). Seule un peu moins du quart de la population brésilienne est couverte par ce type d’assurance médicale privée. Tous les Etats du Sud, du Sud Est et du centre-ouest approchent ou dépassent ce taux moyen. 42% de la population de Sao Paulo, 37% de Rio de Janeiro sont couvertes par une assurance privée mais ce taux s’abaisse à moins de 10% pour les Etats les plus pauvres du Nord et du Nordeste. Il est de 10% dans l’Etat de Bahia, de 8% dans l’Amapa et de 5.8% dans l’Acre.

FIG. 3 Part de population bénéficiant d’une assurance privée

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Source, CFM 2016                                                 H. Foissotte, 2020

On peut expliquer, encore une fois , ces différences de taux de couverture par une économie de la région Sud plus « formelle », où se concentrent le tissu industriel et le tertiaire supérieur et les revenus sont plus élevés. Le Nord et le Nordeste sont des régions plus rurales et où l’économie est globalement à moins forte valeur ajoutée.

Cette dualité s’exprime à travers l’offre de soins intensifs publics mais surtout privés.  Très peu d’Etats du Nord et du Nordeste ont une offre en soins intensifs publics suffisante. Paradoxe, l’Etat de Rio dispose d’une offre publique insuffisante alors que sa desserte totale est la plus élevée du pays.

FIG.4 Offre de lits publics SUS

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Source. CFM, 2016                                                H. Foissotte, 2020

Autre paradoxe brésilien, l’offre de soins intensifs privés est très largement supérieure à celle de l’offre publique mais elle est également supérieure au ratio minimum requis de 1 lit pour 10 000 habitants. Elle est partout supérieure à 2/10 000. La partie Nord du pays serait pour une fois mieux desservie que la partie Sud…Hélas, le dénominateur du ratio lits privés/10 000 personnes ne prende en compte que les bénéficiaires d’assurance privée…et ils sont trés nombreux, comme nous l’avons vue dans cette partie du Brésil.

FIG.5 Offre de lits UTI privés

 

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Seul l’Etat de Rio semble échapper à cet apparent paradoxe qui montre en fait cruellement les insuffisances du système de soins et de santé brésilien. Le contexte sanitaire actuel risque d’avoir des conséquences catastrophiques car les services de soins intensifs équipés de respirateurs sont les seuls à même de prendre en charge les pathologies liées au Covid 19 les plus graves. A ce jour, il n’y a pas de mesures de « solidarité » sanitaire envisagée qui permettrait à tout malade d’être pris en charge par un service approprié, qu’il soit public ou privé.

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