Le Brésil : plus grand pays libanais de la planète

Source : usp.br/agen/?p=97640

Il y aurait aujourd’hui 12 millions de Brésiliens d’origine libanaise au Brésil, soit 3 fois plus que dans le pays du Levant d’où sont originaires leurs familles, parties quelquefois il y a plus d’un siècle.

Cette communauté a marqué l’histoire et l’économie du pays. La consécration de cette histoire commune est sans doute l’accès à la vice-présidence puis à la présidence de la République brésilienne de Michel Temer, fils d’immigrants du pays du cèdre. Certes, cette histoire s’est mal terminée mais les liens inaliénables entre le Liban et le Brésil demeurent. D’aucuns rappeleront la présence nombreuses des Syro-libanais sur la scène politique brésilienne. « Maluf, Haddad, Jereissati, Kassab, Simon, Amin, Feghali, Jatene… il y a depuis des décennies des dizaines de patronymes d’origine arabe au Congrès, dans les ministères, les mairies des plus grandes métropoles du pays et aux postes de gouverneurs ». (www.bbc.com/portuguese/brasil/2016/04/160429_arabes_politica_if_jf)

(sur la photo, on reconnait le candidat malheureux à la dernière élection présidentielle Fernando Haddad, Gabriel Chalita, universitaire et homme politique et l’ancien président Temer).

Divulgação

.source : http://www.bbc.com/portuguese/brasil/2016/04/160429_arabes_politica_if_jf

Les premiers immigrants levantins, appelés souvent « turcos » (turcs) au Brésil car leur pays était alors sous contrôle ottoman, ont débarqué au Brésil en 1880 pour fuir la misère et les persécutions religieuses dont ils étaient victimes sous le joug ottoman. Ils étaient en majorité issus des communautés maronites ou syriaques, minoritaires dans la région. Comme le rappelle Rosa Amorim, la situation géographique est un des facteurs explicatifs de la tradition d’émigration des Syro-Libanais : »La Syrie est une étroite bande de terre de 185.180 km², encadrée par la Méditerranée à l’ouest et par le désert à l’Est. Le Liban est un territoire de 10 400 km². La situation de ce pays, « muré » entre terre et montagnes a poussé les Phéniciens à se tourner de manière précoce vers le commerce plutôt que vers l’agriculture ». Les caprices de l’histoire vont leur attribuer un passeport turc jusqu’en 1892, puis un passeport syrien jusqu’en 1926 et enfin le passeport libanais, mais, rémanence de l’ histoire, le vocable « turc » va les accompagner jusqu’à aujourd’hui.

(http://www.rniu.buap.mx/enc/pdf/xxxiii_m5_rosaamorim.pdf)

C’est dans les Etats brésiliens les plus urbains ou les plus dynamiques économiquement et démographiquement que les Libanais vont s’installer en plus grand nombre. A São Paulo, Rio de Janeiro, dans le Minas Gerais,le Pará et le Goiás il seront vendeurs ambulants plutôt qu’agriculteurs dans les plantations de café. En Amazonie, ils fourniront les « seringueiros », gemmeurs qui récupéraient le latex, sève de l’hévéa brasiliensis, pour produire le caoutchouc, précieux élastomère qui allait faire la fortune de Manaus (ibidem).

La découverte de l’Amérique par les Turcs : du jeu du hasard et de l’ambiguité du terme « Amérique »

Dans son roman éponyme, « la découverte de l’Amérique par les Turcs », le merveilleux écrivain bahianais Jorge Amado décrivait la présence de cette communauté qui arrivait avec ses spécifités et qui allait rapidement trouver sa place dans un pays pourtant si différent de celui qu’ils avaient quitté. Il reprenait consciemment le terme « Amérique » en lieu et en place de « Brésil » pour rappeler l’ambiguité du terme « Amérique » pour les candidats au départ.  Si les historiens s’accordent sur les causes de départ des Syro-libanais des communautés chrétiénnes (pauvreté et persécutions religieuses), le choix du Brésil comme destination est sujet à controverse.  Certains auteurs expliquent ce choix par la visite de l’empereur brésilien Dom Pedro II (Pierre II) en 1876. Cet homme cultivé et polyglotte, que Victor Hugo surnommait « le petit-fils de Marc-Aurèle », aurait séduit son auditoire  par sa maîtrise de l’arabe et son goût pour la culture orientale.  S’il ne fait aucun doute que cette visite allait inicier le début de la première vague d’immigration levantine au Brésil, il semble, d’aprés les documents des archives de l’immigration, que beaucoup de Syro-Libanais n’avaient pas réellement conscience de leur destination finale et pensaient s’embarquer pour les Etats-Unis. Ainsi, en débarquant à Rio ou Santos, ils pensaient fouler le sol de l’Amérique du Nord.(http://www.infoescola.com/historia/imigracao-libanesa-no-brasil/).  Certains n’avaient pas obtenu de visa pour les Etats-Unis et pensaient que l’immigration serait plus facile au Brésil, avant peut-être de retenter leur chance ailleurs. D’autres, enfin, venaient au Brésil pour y retrouver des amis ou de la famille déja installés dans l’espoir d’une vie meilleure (ibidem).

De colporteurs à  docteurs :

Un autre mythe allait accompagner l’histoire de la présence libano-syrienne au Brésil. « Les immigrants levantins étaient pauvres et leur talent de commerçants lié à leurs origines phéniciennes, leur goût de l’effort leur auraient assurer une rapide réussite économique et sociale ». D’aprés Samia Oualalou, les immigrants libano-syriens, qu’ils soient d’origine urbaine ou rurale, étaient issus des classes moyennes et supérieures de leur pays d’origine (https://diplomatique.org.br/arabes-na-america-latina/).  « Em seu país natal, os camponeses já estavam inseridos em uma economia monetária, e os que vieram de cidades eram médicos, jornalistas, advogados ou acadêmicos » (ibidem) Ce mythe « constructeur » semble avoir eu deux vertus majeures, il a assuré la cohésion dans toute l’Amérique latine  d’une communauté pourtant diverse et complexe et a facilité l’acceptation des « Turcos » par une société brésilienne majoritairement d’origine européenne.

La réussite sociale s’explique en partie par le statut des immigrants lors du départ de leur pays d’origine. Selon Oswaldo Truzzi, professeur à l’Université Fédérale de São Carlos, auteur de « Patrícios: sírios e libaneses em São Paulo », alors que les Italiens et les Japonais répondaient à l’appel de main d’oeuvre rurale et industrielle de l’Etat brésilien à la suite de l’abolition de l’esclavage, les Syro-Libanais sont venus de manière spontanée. De fait, ils n’ont pas intégré massivement les latifundios, où les ouvriers vivaient dans des conditions proches de l’esclavage (ce qui est encore malheureusement quelquefois le cas). Ils se sont massivement tournés vers le métier de « mascate » (colporteur, NDLR). Ils vendaient à crédit, au porte à porte et achetaient des échoppes quand les affaires étaient florissantes. Avec les derniers soubresauts du viel homme malade, l’empire ottoman, le flux libanais vers le Brésil prospère s’est intensifié. Avec la crise de 29, les Libano-brésiliens qui avaient des économies ont massivement investi dans l’industrie ou le commerce. La baisse des remises vers le Liban a de fait fixé les activités au Brésil, favorisant les transmissions familiales des entreprises. « Certains ont créé des industries du textile et de l’habillement. « Les progrès de la colonie ont engendré une mobilité spectaculaire, beaucoup plus grande que celle des Italiens, des Espagnols et des Portugais », a déclaré Truzzi (op.citée).

 Colecao Brasil-Libano I Roberto Khatlab

Source : COLECAO BRASILLIBANO I ROBERTO KHATLAB Loja Chucri Makai, em 1955, em São Paulo; sírios e libaneses tornaram-se bons comerciantes

Le titre de « doutor »(docteur, NDLR) ornant les plaques des maisons cossuses des professions libérales, les immigrants ont rapidement perçu les opportunités d’élévation sociale qu’apportaient les formations juridiques, médicales et d’ingéniérie. Ils ont alors massivement investi dans la formation de leurs enfants. Nombres de Libano-Brésiliens se sont tournés vers les métiers d’avocats, de juristes, de médecins. Dés la faculté, une autre caractéristique est apparue : une appétence particulière pour la politique qui s’est maintenue jusqu’à nos jours.

                                                    Colecao Brasil-Libano I Roberto Khatlab

Source : COLEGIO BRASIL LIBANO I ROBERTO KHATLAB Colégio Libanês de São Paulo em 1900; árabes investiram na educação dos filhos

L’empreinte libano-syrienne est multiple (politique, gastronomie, enseignement, industries, commerces), extension de 6000 ans d’histoire phénicienne et semble montrer en ces temps de repli sur soi, que la différence, c’est souvent une richesse.

 

 

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