Source : https://esefarad.com/?p=3011
Le merveilleux écrivain bahianais Jorge Amado nous aurait pardonné de nous être inspirés du titre d’un de ses romans, « la découverte de l’Amérique par les Turcs », où il décrit l’arrivée des Syro-Libanais au Brésil (toujours appelés « Turcs ») à la fin du XIXème siècle. (https://tiradentes-geographie.com/2019/03/25/lebresil-plus-grand-pays-libanais-de-la-planete/)/ Une autre immigration allait marquer durablement l’Amérique latine, et plus particulièrement le bassin amazonien : celle des Judéo-Marocains entre 1850 et les premières décennies du XXème siècle.
« C’est vers le milieu du XIXe siècle, semble-t-il, que les Israélites marocains se sont mis à émigrer en Amérique du Sud. Cette émigration commença au moment où les affaires se ralentirent avec l’Algérie et avec Gibraltar; le courant d’émigration se détourna alors vers le Brésil. Mais les émigrants étaient peu nombreux ; beaucoup de familles, effrayées par la longueur et la difficulté de la traversée sur de mauvais voiliers, par la rigueur du climat, par la fièvre jaune, par la vie pénible qui les attendait au-delà de l’Océan et dont on leur faisait des récits affreux, préféraient demeurer au pays. Ceux qui partaient restaient sept ou huit ans; les plus heureux revenaient avec un capital de 30 à 40.000 francs (Cf. I. Benchimol, La langue espagnole au Maroc, in Revue des Ecoles de V Alliance Israélite, n° 2 (1901), p. 127-128). Le mouvement ne prit une véritable ampleur que vers 1880; les émigrants se dirigent non plus seulement vers le Brésil, mais encore vers le Venezuela, le Pérou et l’Argentine ». (in Ricard Robert. L’émigration des Juifs marocains en Amérique du Sud.. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 20, 1928. pp. 427-429; https://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1928_num_20_1_3655_t1_0427_0000_5)
Une première présence judéo-marocaine au Brésil est antérieure à 1850, date à laquelle on associe le début du cycle du caoutchouc. En effet, on observe dès les années 20 une immigration sépharade en Amazonie. Un cimetière juif (cimetière da soledade) et des « synagogues » Shaar Ashamaim et Essel Abraham sont alors créés à Belèm do Para (LESTCHINSCKY, apud BLAY; 1997.p.40). Certains historiens des religions réfutent cependant cette appellation de « synagogues » mais préfèrent celle de « maisons de prières «(casa de oraçao), car la constitution de l’empire interdisait la construction de lieux de culte non catholiques (Davi Alcolumbre será 1º judeu a presidir Senado). Lucas de Mattos Moura explique ces migrations par un contexte politique et économique tendu à cette période au Maroc et par un antisémitisme entretenu par certains sultans. http://dx.doi.org/10.15202/19811896.2017v22n43p151
Cette diaspora allait essaimer dans les villes amazoniennes de Belém, Cametá, Itacoatiara, Óbidos, Santarém, Manaus, facilitée de manière bilatérale par les gouvernements marocain et brésilien. Comme les autres communautés sépharades, cette diaspora marocaine parlait le ladino, l’équivalent du Yiddish pour les communautés Ashkénazes d’Europe de l’est. Ces Marocains n’allaient pas pratiquer directement les activités de « seringueiros » (ouvriers qui récoltent le latex sur les hévéas). Ils allaient travailler pour les grandes maisons de négociants de caoutchouc, propriétés de marchands allemands anglais, français ou portugais. Ils vendaient à crédit aux seringueiros du matériel agricole, des vêtements, des médicaments et étaient payés en retour en nature, avec le précieux latex. Peu à peu, ces intermédiaires, judéo-marocains mais également syro-libanais, allaient se mettre à leur compte. Ces communautés allaient quelquefois être exposées à des violences racistes et antisémites, leur réussite économique déclenchant parfois les ires de leurs contemporains.
Pourtant, tout comme les communautés syro-libanaises, l’appétence des judéo-marocains pour la chose publique n’allait pas se démentir jusqu’à aujourd’hui. Un certain Elises Moises Lévy aurait été maire de Macapà pendant deux mandats entre 1932 et 1944.
Les aller-retour entre la terre d’accueil et celle d’origine des Marocains étaient nombreux et le Brésil allait d’ailleurs ouvrir un consulat à Tanger. De nombreux « bBrésiliens » résidant au Maroc étaient en fait des Marocains naturalisés. (Source : Ricard Robert. L’émigration des Juifs marocains en Amérique du Sud.. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 20, pp. 427-429). Les séjours étaient souvent temporaires (10, 20 ou 30 ans) mais les migrants marocains prenaient souvent la nationalité du pays d’accueil. Les retours étaient quelquefois marqués par une réelle difficulté de réadaptation au pays d’origine (op.citée). Les immigrés rentrant au pays prônaient les bienfaits de l’éducation, idée relayée par l’Alliance Israélite Universelle, qui allait promouvoir l’enseignement de la langue française. Le protectorat allait certes contribuer à l’amélioration des conditions de vie des communautés juives mais l’émigration vers la jeune république allait se maintenir. C’est d’ailleurs en 1930 qu’allaient débarquer les grands-parents du président actuel du Congrés brésilien Davi Alcolumbre, issu d’une famille qui allait fournir un grand nombre de politiciens.
Foto: Marcos Oliveira / Agência Senado
Il est à ce jour le premier brésilien de confession juive à atteindre cette fonction. Malgré la réussite économique et/ou politique de nombreux membres de la communauté sépharade amazonienne, celle-ci a considérablement diminué. Sur les 110 000 Brésiliens juifs, seuls 4000 résident dans la région Nord. https://www1.folha.uol.com.br/poder/2019/02/de-ascendencia-marroquina-davi-alcolumbre-sera-1o-judeu-a-presidir-senado.shtml