Dans les années 50 aux Etats-Unis, la paranoïa anti-communiste avait conduit à une chasse aux sorcières dans toutes les institutions et les couches de la société américaine. Alors qu’en France, un hashtag #merciprof honore les enseignants et les soutient dans leur tâche noble et ô combien importante, dans les écoles et les universités brésiliennes aujourd’hui, on tente de débusquer les « déviants gauchistes ». (www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/11/17/au-bresil-jair-bolsonaro-lance-la-guerre-de-l-ecole_5384906_3222.html ) Selon leurs détracteurs, ils useraient de leur autorité d’enseignants pour professer de manière unilatérale une idéologie marxiste et une théorie du genre qui promouvrait la sexualité précoce et l’homosexualité. Par définition, cela remettrait en cause les valeurs libérales sur le plan économique et conservatrice sur le plan sociétal prônées par le nouveau gouvernement brésilien qui prendra ses fonctions en janvier 2019. Depuis quelques années, le mouvement « Escola sem partido » (NDLR : école neutre ou école sans parti), initié par Miguel Nagib en 2004, semble avoir de plus de plus d’écho auprés d’une partie de la société civile. Le nouveau président Bolsonaro soutient ouvertement ce mouvement et affirme vouloir expurger de l’école les théories du pédagogue progressiste Paulo Freire, l’équivalent de Phlippe Meirieu, chantre de l’éducation comme moyen d’émancipation des pauvres. (www.meirieu.com/EDUCATION%20EN%20QUESTION/FREIRE.mp4) (oglobo.globo.com/brasil/principais-pontos-do-programa-de-governo-de-jair-bolsonaro-23149417) Le 13 novembre, une proposition de loi éponyme Escola sem partido du député Everilton Santana voulant rendre obligatoire légalement le respect des devoirs de l’enseignant (www.programaescolasempartido.org), sous peine de sanction judiciaire, a été soumise à la chambre des députés en première lecture.
CLEIA VIANA/CÂMARA DOS DEPUTADOS (scène de vote lors du projet de loi ce 13 novembre) (sur les pancartes des opposants à la loi on peut lire « non à la loi du baillon », NDLR). Bien sûr, ces devoirs existent déjà. Et ils existent des enseignants qui ne les respectent pas, comme dans toutes les professions. La direction des établissements peut alors les sanctionner ou faire un rappel au réglement… Mais ce que dénonce Fernando Penna, chercheur à l’Université Fédérale de Rio UFF, c’est la construction d’un climat de suspicion et de dénonciation généralisées, propice à l’acceptation de « kit de solutions miracle » proposé mouvement de Miguel Najib et soutenu par Jaïr Bolsonaro : « Eles usam casos extremos e dizem que isso está aconde suspicion et tecendo em todo Brasil. É criar a doença para vender a cura. Espalham o pânico e aí falam: ‘você está com medo? Podemos resolver isso’. (www.bbc.com/portuguese/brasil-46006167). Les propositions de loi en ce sens se généralisent à toutes les échelles juridictionnelles (municipalités, Etats brésiliens) on en compte plus de 120 aujourd’hui et certains Etats comme le Ceara, l’ont déjà adoptée. Ainsi, on ne pourrait présenter une théorie, un concept sans présenter sur un pied d’égalité, une autre théorie qui serait son « pendant ». Le créationisme serait présenté comme une autre théorie de l’origine du monde, comme l’évolutionnisme, ni plus ni moins (op.citée). La dictature serait présentée sous ses dimensions positives et négatives. La prise de pouvoir de 1964 ne serait plus un coup d’Etat. Et cela n’est d’ailleurs pas différent de l’idée du projet de loi français retoqué portant sur les aspects positifs de la colonisation. Pour conclure, on reprendra l’idée de Miguel Nagib « dans la salle de classe, il n’y a pas de liberté d’expression » (op.citée). Le risque d’une pensée unique émise par l’Etat est réelle. Déjà, l’autocensure chez les enseignants se développe, tout comme les recours contre les professeurs. Le développement de l’esprit critique et artistique, chemin de la création du libre-arbitre et de l’autonomie du citoyen ne passera-t-il plus par l’école ?