« Tout ce qui est simple est faux, mais tout ce qui ne l’est pas est inutilisable ».
Cette citation de Paul Valéry résume bien tout le dilemme cornélien auquel sont confrontés les électeurs brésiliens. Choisir un « kit » de solutions proposé par un candidat populiste ou resigner sans conviction avec le flou d’un candidat du sérail pour repartir sur 4 ans d’incertitude et de difficultés.
Cette fois, alors que le premier tour des élections brésiliennes s’achève, il semble désormais établi que le candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro sera le grand favori de ces élections. Comment une des plus grandes puissances de la planète, leader du G20 et membre des BRICS, peut-elle accorder une majorité de ses votes à un candidat ouvertement nostalgique de la dictature qui a frappé le Brésil de 1964 à 1985, qui est homophobe et misogyne, ultralibéral et raciste ?
Ses détracteurs affirment volontiers qu’une partie de sa popularité (crédibilité ?) s’explique par son absence aux débats publics organisés entre les différents candidats. La vacuité de son programme, qui s’appuie sur quelques idées simples (retour de l’autorité de l’Etat en faisant appel à l’armée, privatisation des grandes entreprises d’Etat brésiliennes, retour de la « morale » dans les écoles et la société, fin de l’interdiction de nombreux pesticides pour s’attirer les grâces des puissants et influents propriétaires terriens) a ainsi été occultée pour le plus grand nombre.
On ne peut pourtant ignorer son mépris de la démocratie. Certes, l’image de celle-ci a été bien écornée par des scandales à répétition, des affaires de corruption, une déliquescence avancée de l’école et du système de santé publics. Le Parti des Travailleurs a été particulièrement éclaboussé par le « lava jato » (lavage express). Mais comme le disait, non sans humour Winston Churchill, la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres.
Bolsonaro promet de sécuriser le pays et cette promesse, propre à tous les populistes, correspond à une aspiration légitime du peuple brésilien, surtout les classes populaires, et moyennes les plus exposées à la violence. Les plus riches restent depuis longtemps dans l’entre soi de leurs condominios fechados.
Le pays est un des plus violents de la planète. Le film « troupe d’élites » a rappelé violemment à la société brésilienne et au monde la violence institutionnalisée de cet Etat où certains s’arrogent le droit de vie ou de mort sur autrui. La police militaire, les propriétaires terriens, le petit bourgeois lambda estiment de leur devoir pour certains, de leur droit pour d’autres, de « nettoyer » la cité de sa lie quand l’Etat démocratique ne le fait pas assez efficacement. Les puissants gangs des favelas règnent par la terreur et par le sang dans ce que Roger Brunet appelait l’antimonde ou les zones grises qui se caractérisent par un Etat faible comme support.
Il est vrai que le pays a peur de ses enfants, « capitaines des sables » exposés à la violence, à la colle à rustine qui va ravager leur cerveau juvénile. Le film Pixote a mis en lumière le sort de tous ces enfants abandonnés, oubliés par tous et livrés à la violence de la rue et des centres de rétention. L’acteur éponyme du film, telle une destinée manifeste, jeune garçon repéré dans la rue, est allé jusqu’au bout du réalisme d’un film à son image. Il est mort assassiné.
Mais Bolsonaro semble oublier que les Brésiliens ont également peur de leur police et de leur justice. Il propose d’amnistier les policiers accusés de crimes et de libéraliser le port d’arme. Il se veut le chantre de l’autodéfense et on connait les risques dans un pays où les homicides sont omniprésents. Il veut accorder plusieurs portefeuilles ministériels à l’armée et lui accorder plus d’importance dans la vie de la cité. Dans un pays où les plaies de la répression lors de la dictature militaire ne sont pas refermées et où l’armée se sent encore investie d’une totale immunité, on peut craindre de nouvelles catastrophes si l’armée relaie les BOPE (bataillons d’opérations spéciales de la police militaire) sur tous les points chauds du Brésil. Sous Temer, dans les favelas, les UPP (Unité de Police de Pacification) ont déjà été remplacées par l’armée. Dans un Etat de droit, il semble toujours dangereux d’utiliser l’armée pour le maintien de l’ordre.
Pour son programme économique, Bolsonaro avouait ne pas s’y connaître. Il a fait appel à un « Friedman’s boy » ; Paulo Guedes, pour redresser une économie brésilienne en crise depuis 2014. Ce choix semble d’ores et déjà rassurer les marchés. Ultralibéral, cet ancien banquier issu de l’école de Chicago promet de redresser les comptes dès l’année prochaine avec des « privatisations à tout-va pour faire rentrer quelque 200 milliards d’euros dans les coffres publics et avec la mise en place d’un budget « base zéro ». www.lesechos.fr/monde/ameriques/0302340952012-bresil-les-milieux-daffaire-seduits-par-les-sirenes-de-lextreme-droite
Cependant, ces réformes ne peuvent aboutir qu’en « réformant un système fiscal fondé sur des taxes à la consommation qui touchent davantage les pauvres que les riches. Le Brésil est quasiment le seul pays de l’OCDE où les dividendes reçus par les actionnaires ne sont pas fiscalisés, ce qui fait que les deux tiers du 0,05 % des plus riches Brésiliens ne paient aucun impôt sur le revenu… » /www.alternatives-economiques.fr//bresil-danse-bord-volcan/
Quid de cette mesure nécessaire ? Le bon accueil des marchés à Bolsonaro semble montrer qu’elle n’est et ne sera à l’ordre du jour. L’hebdomadaire économique précisait que « l’Etat brésilien doit verser à ces très riches 7 points de PIB (contre 1,7 en France) pour rembourser les intérêts de la dette publique, à défaut de leur faire payer des impôts ». C’est surtout en privatisant les bijoux de famille brésiliens, les grandes entreprises d’Etat que Bolsonaro compte réduire le déficit budgétaire.
Le dossier de la sécurité sociale, chantier énorme et sujet brulant, n’a jamais été réellement pris en compte par les parlementaires. /www.alternatives-economiques.fr//bresil-danse-bord-volcan/
Il s’agit d’un programme maximaliste avec des mesures impraticables. « Son programme de privatisations n’est pas politiquement viable », explique cet ancien de Citibank et de HSBC. « Il s’agirait d’un coup de barre ultralibéral. On peut douter de sa pertinence dans un pays comme le Brésil, où l’on a encore besoin de services publics », ajoute un observateur.(op.citée les Echos).
Car c’est bien aujourd’hui ce dont il s’agit. Il faut donner plus à ceux qui en ont le plus besoin…et ils sont nombreux. On ne crée pas de société viable, stable et productive sans un système scolaire décent qui formerait les cadres et les techniciens nécessaires au Brésil. On ne graisse pas les rouages d’une société sans service public digne de ce nom ! L’ONU vient de publier un nouvel indice IDH qui prendrait en compte la perte de productivité et de développement liée à une insuffisance des systèmes scolaires et sanitaires. Nul doute que le Brésil y sera épinglé. Or la diminution des dépenses de l’Etat apparaît comme une anaphore du programme de Bolsonaro.
Cette cure d’austérité, commencée par le très décrié Michel Temer, a déjà mis le feu aux poudres, avec comme premier résultat l’incendie tragique du musée national de Rio, victime collatérale du désengagement de l’Etat, qui en avait drastiquement réduit le budget dédié à l’entretien. https://wordpress.com/post/tiradentes-geographie.com/88
Il a retiré la bolsa familia à plus d’un million de familles. Pourtant, c’est encore les milieux les plus fragiles économiquement qui souffrent d’une capacité de consommation limitée par le coût du crédit. L’oligopole bancaire permet de « facturer des taux d’intérêt prohibitifs aux ménages (de l’ordre de 40 % par an) et aux entreprises (de l’ordre de 25 % par an). Du coup, les banques sont solides et le surendettement ne guette pas l’économie brésilienne, contrairement à d’autres pays émergents, mais l’investissement et la productivité y sont structurellement faibles » (alternatives économique, op.citée). Les solutions proposées semblent être essentiellement comptables et non pas sociales. Le bien-être des comptes publics l’emporterait sur celui du peuple.
La démocratie au Brésil a toujours été une aventure ambigüe, d’aucuns et ils sont nombreux pensent même qu’elle est un malentendu. Getulio Vargas, président fascisant, est souvent encore considéré comme un martyre, saint laïc qui se serait sacrifié pour le peuple brésilien et la démocratie. C’est bien cette ambiguïté qui rend acceptable par une grande partie des Brésiliens le « contrat social » proposé par Bolsonaro. En certains lieux du pays, la polarisation des opinions n’est pas sans rappeler le contexte de l’affaire Dreyfus. C’est bien d’une victoire des dreyfusards dont rêvent les démocrates du Brésil et du monde.