Kuhikugu, cité perdue d’Amazonie

Le conquistador Orellana, dans ses récits de voyage écrits par le missionaire dominicain Gaspar de Carvajal entre 1540 et 1542, évoque des rives du fleuve Amazone peuplées en certains lieux par des villages alignant leurs habitations sur des dizaines de kilomètres de long. Mais l’histoire a tôt fait d’assimiler les écrits de l’austère vicaire dominicain à des chroniques où la mythologie et  les fantasmes d’une Europe encore moyen-âgeuse l’emportaient sur la rigueur historique. Le nom « amazonie » lui-même n’était-il pas dérivé du souvenir de guerrières mythiques dont on a jamais trouvé de traces archéologiques ?  Pourtant, dans les années 1990, M.Hecklenberger a ravivé le mythe des cités perdues d’Amazonie en étudiant des sites archéologiques dans le haut Xingu, au Brésil, dont la célèbre X11 : Kuhikugu (M. Hecklenberger, pour la science n°388, 2010). Il est désormais admis que l’Amazonie a abrité des civilisations urbaines dont la taille était comparable à celles des villes moyennes d’Europe occidentale.

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source : http://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/bresil-kuhikugu-ou-site-x11-la-cite-z.html

Cela remettait en cause toutes les considérations scientifiques basées sur la postulat d’un substrat amazonien incapable d’héberger des cultures peuplantes.

L’Amazonie a longtemps véhiculé dans l’imaginaire occidental moderne l’Eros de la nature originelle, vierge et innocente en lutte contre le thanatos de la modernité destructrice. Les tribus, à la différence d’autres civilisations  sud ou mésoaméricaines, n’y ont pas laissé de constructions en dur. On les a longtemps réduit à des peuples de chasseurs-cueilleurs primitifs vivant à l‘âge de pierre et se contentant de ce que la nature voulait bien leur donner. En 1982, Pierre Gourou, dans son ouvrage princeps « Terres de bonne espérance », opposait d’ailleurs les fortes densités du delta du Mékong à celles très faibles du bassin de l’Orénoque. Il justifiait ceci par l’absence ou la maîtrise de « techniques d’encadrement ».  Comment concevoir alors des civilisations amazoniennes passées différentes de celles d’aujourd’hui ? Cette vision va changer progressivement à partir des années 70. Les chercheurs redécouvrent alors les écrits des premiers explorateurs. Michael Heckenberger cite les récits de Gaspar de Carvajal qui écrivait en 1542, que de ces îles amazoniennes qu’il pensait inhabitées surgirent « plus de 200 pirogues, chacune d’elles transportant 20 à 30 indiens et certaines 40 ». Près de 2 siècles plus tard, le Brésilien Antonio Pires de Campos s’aventure près du Rio Tapajos, à l’Ouest du Xingu et évoque lui aussi de nombreux villages bien reliés les uns aux autres par de larges routes. Ces remarques vont être corroborées par R.Carneiro et surtout par M Heckenberger, « The upper Xingu is the only area of the Brazilian Amazon that clearly shows continuity of indigenous occupation from prehistoric times to the present day. By 1400 AD, if not before, the prehistoric villages had reached impressive proportions (20 to 50 hectares). This makes them amongst the largest in any lowland South American area in prehistoric times. They comprised a variety of structures including linear causeways along the margins of the main paths, central patios and deep ditches. These would doubtless have been accompanied by above ground structures such as palisades, bridges and entry gates. It is estimated that such villages could house around a thousand people and that more than ten thousand indians probably lived to the west of the Culuene river in the upper Xingu region ». (povos indigenas brasil). Heckenberger va cartographier avec la précision d’un arpenteur des fossés larges et profonds et des routes larges comme des autoroutes actuelles, des palissades protégeant des villages, des territoires exploités de manière plus ou moins intensive, des villages nombreux reliés entre eux par un réseau de routes très sophistiqué. Il prend alors conscience d’un haut degré d’intégration régionale. Les espaces occupés s’organisaient sur près de 250 km² dont 50 km² pour les ensembles urbains  stricto sensu. Plus récemment, des fouilles menées par l’équipe anglo-brésilienne de Jonas Gregorio de Souza vont mettre en évidence un continuum de cités interconnectées de civilisation arawak sur plus de 400 000 km². « At the same time, regions such as southwestern Amazonia were home to one of the highest diversities of language families within Amazonia, and the multi-ethnic/multilinguistic nature of regional systems is exemplified by the Upper Xingu34. The belt of Arawak and other groups along the SRA has been hypothesised to constitute a formative supra-regional system that was present from late PreColumbian times. If true, this connection would suggest an uninterrupted distribution of earthworks along 1800 km east–west in the SRA and a more intense Pre-Columbian human impact in the forests of this region than previously postulated »  Pre-Columbian earth-builders settled along the entire southern rim of the Amazon

Le mythe de la forêt primaire inviolée a fait long feu. C’est bien toute une vision établie sur l’impossibilité pour les civilisations amazoniennes de développer des échanges complexes entre elles  et de cultiver intensivement un terroir amazonien latéritique et stérile qui vole en éclat. Ceux que l’on a considéré dans le meilleur des cas comme de « bons sauvages » seront-ils désormais des modèles pour une sauvegarde de la planète, s’il en est encore temps ?

Hecklenberger compare en effet les cités du haut Xingu à des cités-jardins qui pourraient bien être le modèle le plus à même de concilier urbanisation durable et protection de la biodiversité. Mais les réserves indiennes apparaissent comme de bien fragiles remparts contre la déforestation amazonienne, le soja OGM et les pâtures extensives.

(Ce texte est largement basé sur l’article de M. Hecklenberger dans la revue Pour la science n°388, 2010)

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