Décidément, le Brésil et l’Amérique latine n’en finissent pas avec le populisme, qui quelquefois revêt ouvertement les atours du caudillisme. Pour beaucoup d’analystes, ce sera le cas avec le candidat d’extrême droite à la présidentielle brésilienne, Jair Bolsonaro. Dans une chronique décapante, la revue libérale The Economist voit en lui une menace pour l’Amérique latine et le Brésil, dont il serait « un président catastrophique » (Jair Bolsonaro, Latin America’s latest menace). Comment ce « pays émergé » selon l’heureuse acception du brésilianiste Hervé Théry, en est-il arrivé là ? Entre 2006 et 2011, prés de 20 millions de Brésiliens sont passés des classes E et D (grande pauvreté et pauvreté) à la classe C, qui peut correspondre grosso modo à notre « petite » classe moyenne. (O Brasil, suas classes sociais e a implicação na economia). L’émergence économique s’est traduite par un renforcement numérique de la classe moyenne. Certaines formes de redistribution des richesses nationales, comme la bolsa familia, ont ainsi extirpé des millions de familles de la pauvreté endémique de certains quartiers ou régions où elle était un incontournable compagnon de route. Même les grands patrons brésiliens et les bourses internationales avaient accueilli avec une joie non dissimulée l’élection de l’ex-syndicaliste métallo, emprisonné de nombreuses fois pendant le régime militaire. La croissance brésilienne leur avait de fait particulièrement profité. Mais c’est bien d’une composante « lésée » de cette croissance et particulièrement marquée par le perte de ses atouts que vient le danger d’un vote massif pour le candidat d’extrême droite. La petite bourgeoisie, souvent blanche et conservatrice, a vu peu à peu fondre ce qui la distinguait de la masse, souvent honnie, pendant les années de crise économique des mandats de Dilma. Exit le personnel de maison mal payé, les écoles privées, les appartements à Cabo Frio ou Buzios. La faute en reviendrait à Lula et sa dauphine. Selon Claire Gatinois (Le Monde du 22 septembre), la violence des propos de Bolsonaro relaie la haine qui attise ces esprits qui ont l’impression de voir le miracle économique brésilien leur échapper à tout jamais. La société brésilienne est née dans la violence de l’esclavage et une frange de la nation adoube régulièrement ceux qui institutionnalise cette violence pour « sauver » un ordre politique économique et moral. Quand Bolsonaro veut « Fusiller les petralhas » (partisans du Parti des Travailleurs de Lula) et préférerait voir son fils mort plutôt qu’homosexuel, il ne choque pas par ces propos toute une frange de la population. Pas plus que ne la choque le général Mourao, candidat de Bolsonaro à la vice-présidence, quand il évoque la possibilité « d’un coup d’Etat en cas de situation anarchique ». Elle feint de croire, avec arrogance, que le système de « présidentialisme de coalition » peut neutraliser de fait un président qui ne pourrait développer les idées forces de sa campagne (C.Gantois, op.citée). La violence des oppositions entre les antipétistes fondamentalistes et ceux qui refusent un retour en arrière du Brésil vers ses heures noires du plan Condor pourrait entraîner le pays vers un profond chaos politique et social. Bolsonaro, bien que catholique lui-même, espère compter sur une armée de réserve nombreuse et disciplinée : l’Eglise ou les Eglises évangéliques. Pour finir sur une note d’humour empruntée au chansonnier Fred de Saint-Jean, du « bar cabane », il préfère voir leurs brebis ici plutôt que le Lula.